Raphaële Anfré évoque à l’aquarelle ce que la féminité lui inspire, ses accords et désaccords, mais aussi des jardins à la végétation luxuriante, imaginés comme une véritable promenade dans un jardin de l’intime.

L’ESSENCE, SA GENESE
✦ Quel est ton parcours et ton rapport à l’art ?
Le dessin a toujours été très présent chez moi. Petite, je dessinais en permanence. À trois ans je suis allée vivre chez mes grands-parents, ils travaillaient tous les deux beaucoup et je les accompagnais souvent. On m’asseyait à une table, on me donnait du matériel et hop ! C’était parti ! Trente ans plus tard je croise encore des personnes qui se souviennent de cette époque et m’en parlent avec beaucoup de bienveillance et d’humour, « la petite fille, assise entre son grand-père et sa grand-mère, une pile de feuilles et des crayons à la main, qui dessinait sans faire de bruit pendant des heures ». Ado, j’ai un peu délaissé les pinceaux au profit d’autres formes d’arts. Je pensais que pour être artiste il fallait prendre des cours. Je pensais que la technique s’apprenait uniquement au près d’un professeur. J’habitais à l’étranger, j’enchaînais les déménagements et malheureusement l’accès à des ateliers n’était pas évident. C’est bien plus tard que j’ai compris mon erreur. C’est en pratiquant qu’on apprend, même seule. Je me rattrape depuis pour mon plus grand plaisir, que j’espère partager.
✦ Quel a été le déclic qui t’a amenée à l’art et à la création ?
Ma grand-mère était une grande admiratrice de design, surtout du design Italien des années 60. Elle m’a très tôt parlé des objets, de leurs histoires, de leurs créateurs. La maison étaient remplie de pièces d’Anna Castelli Ferrieri, des frères Castiglioni, de Richard Sapper, de l’entreprise Guzzini, du Corbusier (pour beaucoup dessinées par Charlotte Perriand) et d’autres génies. Mes grands-parents ont fait construire leur maison dans les années 70, des volumes fous, des ouvertures partout, des murs jaunes, des plafonds oranges, des portes bleues, un escalier en métal rouge, une cheminée en cône orange, du bois au sol et au plafond. J’ai passé une partie de mon enfance dans cet univers assez incroyable, très propice à l’observation et à la création. Je sais que mon goût pour l’art est né ici.
✦ Quel médium t’inspire le plus et pourquoi ?
Depuis cinq ans je peins quasiment exclusivement à l’aquarelle. J’ai découvert cette peinture par contrainte. Je partais pour un long voyage et j’avais besoin d’une peinture facile à transporter. L’aquarelle, avec ses petits godets, était l’option idéale. À l’époque je travaillais à l’acrylique et à l’huile avec de grands aplats aux couleurs très franches et pigmentées. Autant vous dire que l’aquarelle m’apparaissait comme la dernière peinture adéquate pour obtenir ce genre de résultats. J’avais en tête les lavis, très pastels et transparents souvent associés à ce matériau. Ça a été une réelle révélation. J’ai adoré absolument tout dans le travail de l’aquarelle. Du ressenti, au résultat, en passant par le matériel utilisé. Il y a quelque chose d’extrêmement doux dans le travail de l’aquarelle. Malgré le fait que je doive travailler vite pour obtenir des aplats réguliers et être très concentrée, à la limite de la crispation, pour garder la précision de mes traits, voir la couleur se répandre sur le papier de coton est hypnotisant et très relaxant.
✦ Quel est ton processus de création ?
Ma façon de travailler évolue toujours. Il y a cependant une chose qui ne change pas. Les périodes de dessin et de peinture s’alternent sans que je puisse y faire grand chose. Le dessin, c’est le moment où je vais gribouiller un tas d’idées dans mon carnet de croquis. Il dure souvent plusieurs jours. Les idées fusent et il y a quelque chose de « facile ». Puis tout s’arrête d’un coup. C’est à ce moment que la peinture prend le relai. Je fouille dans mes carnets à la recherche d’un croquis qui me plaît et je commence à le travailler. Je travaille beaucoup en séries, il m’arrive de reproduire le même dessin que je peins dans des teintes différentes. Rechercher et travailler la couleur est tout aussi important et intéressant pour moi que de créer un nouveau dessin. Puis, tout comme avec le dessin, l’inspiration s’estompe et le travail des couleurs se fait de plus en plus laborieux. Alors le moment du dessin fait de nouveau son apparition et ainsi de suite. On me demande souvent si je prépare mes couleurs en avance. Cela m’arrive, mais souvent (pour ne pas dire tout le temps) je ne respecte pas mon étude préparatoire. Les couleurs me viennent sur le moment. Elles dépendent beaucoup de mon humeur. J’aime cette façon de travailler, je ne sais jamais à quoi va ressembler la peinture une fois terminée et cela me plaît beaucoup. Il m’arrive d’être déçue, mais en général j’ai de belles surprises.
✦ Tes œuvres sont-elles totalement abstraites ?
Lorsqu’on me demande de décrire mon travail j’ai tendance à dire qu’il est « abstrait tout en étant figuratif ». Je simplifie énormément mon dessin. Si l’on regarde mes dessins préparatoires ils sont souvent beaucoup plus précis et « riches ». Je m’efforce de les alléger. Je tiens à garder la forme et le fond tout en minimisant mes lignes. Je l’ai fait dès le début. J’avais ce besoin de dire sans montrer. L’abstraction permet cela. Aujourd’hui j’ai pansé ce qu’il y avait à panser. Je ne cache plus mes corps de Femmes par gêne ni pudeur mais par envie. Il y a quelque chose de plaisant dans le fait de montrer sans montrer. Une sorte de défi envers moi-même et de jeu avec le spectateur. J’ai toujours détesté qu’on m’impose quoi que ce soit et je crois que je fais un peu de même avec mes peintures. Chacune et chacun est libre d’y voir ce qu’elle ou il a envie d’y voir. Et ça me plaît.
✦ Quelle matière rêves-tu de travailler ?
J’ai longtemps rêvé de travailler la terre. De faire des sculptures en céramique. De travailler en trois dimensions et de me noyer dans tout ce que l’émaillage a à offrir en termes de couleurs et d’effets. Je vous en parlais lors de ma première exposition avec Wilo & Grove. Aujourd’hui c’est chose faite. J’entame ma troisième année de céramique. Du pur bonheur ! D’ici quelques mois je compte bien vous dévoiler quelques créations.





SES INFLUENCES
✦ Quelle œuvre d’art choisirais-tu pour t’accompagner toute la vie ?
Il y a une œuvre qui n’a jamais quitté mes pensées depuis que je l’ai vue en 2013 lors d’une exposition, c’est Pichet et coupe de fruits, 1931 (Collection David Nahmad) de Picasso. Je me souviens m’être arrêtée devant, un long moment et y être retournée plusieurs fois ce même après-midi à une période où visiter des musées en famille l’été n’était pas mon activité préférée… Je ne l’ai jamais revue depuis, ma réaction serait sûrement différente aujourd’hui, mais pour le souvenir de ce moment, de cette émotion, je la choisis elle.
✦ Quelle est l’exposition, l’artiste ou l’œuvre qui t’a le plus émue ?
Je me souviens de ma première visite à la Fondation Maeght. Une fin d’été, avec mes grands-parents. Je ne sais plus quel âge j’avais exactement mais je n’avais pas encore 10 ans. J’avais été interpellée par ce lieu, son architecture et les œuvres qui s’y trouvaient. J’avais été très émue par le fait que des adultes aient pu créer des œuvres aussi peu académiques. C’était la première fois que des chefs-d’œuvre me parlaient autant. Depuis, dès que je suis dans le coin j’y retourne, toujours avec autant d’émotion.
✦ Une pièce de mobilier design qui te fait rêver ?
Il y en a tant qu’en choisir une est particulièrement difficile. Mais une pièce me fait rêver depuis plusieurs années. Il s’agit plus d’un objet que d’un meuble, c’est la machine à écrire Valentine, d’Olivetti, créée par Etorre Sottsass. Le modèle rouge, évidemment. Tout me plaît dans cet objet, y compris la publicité autour de sa sortie. En parler fait remonter mon envie! Je vais filer faire quelques recherches sur internet. Je vous dirais si j’ai succombé.
✦ Un endroit qui t’inspire et te ressource ?
La Bretagne. Parce qu’elle symbolise ma famille. Mes premiers dessins. Le repère entre mes nombreux déménagements. Les plus beaux moments et les plus forts aussi. Pour sa beauté, sa lumière, ses paysages et ses couleurs. Un vrai havre d’énergie.
✦ Une couleur de prédilection ?
En ce moment, le jaune orangé. Très lumineux, chaud, rempli de nuances. Une merveille ! Vous allez d’ailleurs beaucoup le retrouver dans mes peintures.


LAST BUT NOT LEAST !
✦ Quelle est la journée type de Raphaële Anfré ?
Elle débute trop souvent par un réveil douloureux après une nuit trop courte. Je me prépare, j’avale un verre d’eau et je sors pour la première balade du jour avec mon chien avant de filer à l’atelier. Je m’éveille sur le chemin, je réfléchis aux tâches de la journée. Une fois à l’atelier, je me prépare une très grande tasse de thé rwandais puis j’attrape mon pinceau. Je sais toujours sur quoi je vais travailler avant d’arriver à l’atelier. Je peins presque tous les jours, sans vraiment m’arrêter. Je ne déjeune pas non plus. Je bois du thé, beaucoup, trop ! Je profite des autres balades de la journée pour m’aérer l’esprit. Sans elles, je passerais ma journée enfermée. Depuis quelques temps, je me suis fixée une règle, que je respecte à moitié, avoir une journée off par semaine. M’arrêter n’est vraiment pas évident. C’est le piège lorsqu’on est passionnée par son travail.
✦ Avec ton expérience du monde de l’art, que dirais-tu à un artiste qui se lance aujourd’hui ?
Je lui dirais de créer. Le plus possible! De ne pas regarder ce qui se fait à côté et qui « fonctionne » dans l’idée d’imiter. De ne pas vouloir aller trop vite. De commencer à créer sans se demander si « ça va vendre ». De créer de façon quasi frénétique pour qu’à un moment quelque chose de personnel, de différent, d’unique, qui plaise, qui parle et qui fasse du bien, sorte. C’est à ce moment que toutes les questions précédentes pourront se poser et que de nouvelles, sûrement plus pertinentes, se poseront.
✦ Quel est le rôle de Wilo & Grove dans l’évolution de ton parcours en tant qu’artiste ?
Wilo & Grove a tout changé pour moi. En terme de façon de travailler, de visibilité et de revenus. Le fait d’avoir des revenus, certes variables, mais réguliers est une chance incroyable en tant qu’artiste. Cela me permet de travailler avec beaucoup plus de sérénité. Avoir des œuvres exposées de façon permanente est aussi une grande chance. Les peintures vivent, elles sortent de l’atelier, sont vues. Ces aspects me tiennent énormément à cœur. Être chez Wilo & Grove c’est aussi être aux côtés d’artistes de talent et collaborer avec toute une équipe absolument géniale. Cela me pousse à être à la hauteur de toutes ces belles personnes. Je dis toujours que je souhaite à tous les artistes de rencontrer leur Wilo & Grove.
✦ Un accident d’atelier ou un imprévu qui s’est intégré à ta technique ? Ou une anecdote que tu souhaiterais partager avec nos chers Wilovers ?
Je vais me répéter mais le fait d’avoir tant méprisé l’aquarelle et d’avoir été contrainte de l’utiliser par pur praticité pour en fin de compte plonger dedans sans pouvoir m’en passer est pour moi le plus bel imprévu artistique que j’ai vécu.
✦ Des projets à venir ?
Quelques uns oui. J’ai l’honneur d’avoir été invitée à dessiner la couverture d’une très belle revue, Flaash, qui sortira en mars avec un numéro spécial Femmes. Je participe également au salon Soild’Art au Carreau du Temple à Paris pour le Secours Populaire, en mai. J’ai deux beaux voyages de prévus, un en Argentine et l’autre au Rwanda pour continuer à travailler sur ma série de paysages et des pays qui me sont chers. Et j’anime des ateliers et des stages de peinture avec Le Paon. Une année 2025 bien chargée !

