Amoureux de la nature, Laurent Karagueuzian trouve depuis toujours son inspiration dans les formes végétales. Ses recherches récentes l’ont mené à la série des Papiers écorchés, au rendu subtil et à la technique unique, auxquels nous avons totalement succombé.

L’ESSENCE, SA GENESE
✦ Quel est ton parcours et ton rapport à l’art ?
Je dessine depuis que j’ai quatre ou cinq ans. Cette passion ne m’a jamais quittée. Adolescent, je m’intéressais à la bande dessinée, aux Arts Graphiques, à l’illustration, à la gravure… Pour moi, il n’y avait aucune hiérarchie dans toutes ces pratiques. Ce n’est qu’à partir de mes études à la faculté d’Arts Plastiques que j’ai connu le plaisir de découvrir la peinture en fréquentant les musées. J’ai commencé à peindre à dix huit ans.
✦ Quel a été le déclic qui t’a amenée à l’art et à la création ?
C’est toujours difficile de savoir comment les choses adviennent. La création doit être animée par un sentiment de liberté. J’aime entretenir une part de doute, de mystère.
✦ Quel médium t’inspire le plus et pourquoi ?
J’utilise souvent le papier. J’ai un rapport assez direct avec ce support. La peinture, je la fabrique en associant liant et pigments. J’aime aussi travailler sur d’autres supports comme le bois, la toile, le plâtre… parce qu’ils m’obligent à explorer d’autres processus. C’est une façon de retrouver une forme de fraîcheur à l’image de l’enfant qui explore.
✦ Quelle matière rêves-tu de travailler ?
J’aimerai sculpter l’air.
✦ Quel est ton processus de création ?
J’essaie de donner forme à l’air qui circule entre les éléments. Pour cela, la prise en compte de la réserve du papier est fondamentale dans ma démarche : je protège certaines parties avec des adhésifs. Je cherche à organiser un dialogue entre les parties peintes et non peintes. Je passe une multitude de fines couches de peinture. Quand je suis satisfait de la vibration des harmonies colorées, j’ôte les zones de masquage. Les réserves de blanc apparaissent. Le papier respire. Il peut reprendre de l’air. C’est une révélation.
✦ Tes œuvres sont-elles totalement abstraites ?
Il faudrait laisser aux historiens de l’art le soin de répondre à cette question. Ils ont défini cette notion et ses contours dans le contexte des avant-gardes du début du XXème siècle. Je dirais plus volontiers que mes œuvres sont non-figuratives. Elles tentent de préserver une proximité avec le monde qui nous entoure.





SES INFLUENCES
✦ Quelle œuvre d’art choisirais-tu pour t’accompagner toute la vie ?
Une peinture de Vermeer, « Une vue de Delft ».
✦ Quelle est l’exposition, artiste ou œuvre qui t’a le plus ému ?
J’ai vu récemment une Annonciation du Caravage au Musée des Beaux de Nancy.
L’éclairage est théâtral et le rendu très contrasté. Il s’en dégage pourtant une grande douceur. Dans sa verticalité, la composition est magistrale, l’ange en haut à gauche drapé de blanc apparait à la Vierge en bas à droite. En restant debout face à ce tableau, je me suis senti plus léger. Cette œuvre mesure 285 x 205 cm. Elle est sublime.
✦ Une pièce de mobilier design qui te fait rêver ?
Un lit conçu par Jean Prouvé… et pour rêver encore, une chaise standard du même Jean Prouvé.
✦ Un endroit qui t’inspire et te ressource ?
Je vais faire la même réponse que Claire Borde. Ce sous-bois avec son ruisseau…
✦ Une couleur de prédilection ?
Actuellement je m’intéresse aux jaunes. Et à la façon dont ils répondent aux autres couleurs.


LAST BUT NOT LEAST !
✦ Quelle est la journée type de Laurent Karagueuzian ?
Mon atelier est à quelques pas de chez moi. Aucune journée ne se ressemble. Elles ont des colorations différentes . J’alterne dans des proportions inégales des temps de regard, d’action ou d’organisation de l’espace. Parfois je passe beaucoup de temps à préparer des supports. D’autre fois, je tourne en rond. À certains moments je pose des adhésifs. Quand les supports sont préparés, je passe parfois l’essentiel de ma journée à peindre. Quand une série est terminée, je photographie les œuvres. Je range mon atelier… C’est très variable.
✦ Avec ton expérience du monde de l’art, que dirais-tu à un artiste qui se lance aujourd’hui ?
Dessine, dessine, regarde autour de toi, et dessine encore. Sois patient. N’essaie pas d’être original à tout prix.
✦ Quel est le rôle de Wilo & Grove dans l’évolution de ton parcours en tant qu’artiste ?
Fanny et Olivia ont découvert mon travail au Salon des Nouvelles en 2018. Je présentais un de mes premiers papiers écorchés. Nous avons décidé ensemble de mener cette aventure. Elles m’ont accordé leur confiance qui est réciproque . Cette série se poursuit encore aujourd’hui. La galerie Wilo and Grove m’accompagne merveilleusement dans l’évolution de mon travail.
✦ Un accident d’atelier ou un imprévu qui s’est intégré à ta technique ? OU Une anecdote que tu souhaiterais partager avec nos chers Wilovers ?
Entre Septembre 2016 et juin 2017, j’ai fait une année de formation en gravure taille-douce. J’ai découvert le papier Arches 400 grammes. Dans mon atelier, je travaillais des projets de gravure et parallèlement des dessins noir et blanc à l’encre et à la gouache librement inspirés de mes études de ciel vu au travers des branchages et des feuillages des arbres. La gouache ne se gomme pas ! Comment faire venir le blanc du papier sous la pellicule peinte ? J’ai gratté de différentes manières, mais ces tentatives restèrent infructueuses. Alors, j’ai appliqué un morceau de scotch sur la surface gouachée et j’ai ensuite arraché le morceau de ruban avec vivacité. Miracle : le blanc du papier resurgissait. Cela donnait une nouvelle énergie au dessin. Le papier Arches était légèrement écorché…. Il semblait avoir la chair de poule. J’ai alors appréhendé le papier comme une peau.
Ce petit accident a ouvert la voie à la série des papiers écorchés.
✦ Des projets à venir ?
Je ne peux encore rien dire.

