Jean-Charles Yaïch explore le corps féminin, sa grâce, sa poésie et ses courbes à travers la technique du Kirigami. Au cours de cette interview, il se livre sur son travail, son parcours et ses inspirations pour nous offrir une lecture passionnante.

L’ESSENCE, SA GENESE
✦ Quel est ton parcours et quel a été le déclic qui t’a amené à l’art et à la création ?
Mon père peintre, j’avais douze / treize ans quand j’ai commencé à peindre à l’huile.
Baigné dans la couleur et le soleil, j’avais aussi la chance d’être entouré par l’art et les livres d’art. Je rencontrais déjà, par l’image, les contemporains, Picasso, Braque, Cézanne, qui m’éblouissaient par leur inventivité et leur regard sur la nature et le personnage, déjà si loin du figuratif et de la représentation relativement classique de l’œuvre de mon père.
La révolution picturale avançait.
Dans les années 1963 / 1964, j’ai commencé à travailler dans l’atelier de mon seul et unique maître, Francis Harburger, à Paris près de Montparnasse.
Y était enseigné le dessin, classique, du corps féminin et la peinture surtout, aussi classique, de glacis et transparences, de matières et de couleurs. Une base, nécessaire, je le pense, voire essentielle, avant d’évoluer dans son art.
Ces très nombreuses expériences demandent toujours à aller plus loin dans sa propre recherche, de collage, de matériaux divers, une certaine abstraction, une autre représentation de la réalité. Le sable, la rouille, les papiers, la matière, les matières, tout devient intéressant en vue d’une nouvelle création, toujours en évolution au fil des ans.
Pendant de très nombreuses années, j’ai organisé, en dehors de mes cours avec mes élèves, des séances de croquis de nu avec un petit groupe de mes amis peintres. Nous faisions alors nos gammes, nos exercices. Nous participions chaque fois, ensuite et en commun, à des critiques, sans concessions, mais tellement constructives.
✦ Quel médium t’inspire le plus et pourquoi ?
C’est le Kirigami, art d’origine Japonaise. C’est l’art du papier découpé.
Sous toutes ses formes, le dénominateur commun de mon œuvre reste le corps de la femme.
Je travaille aussi la céramique RAKU.
✦ Quel est ton processus de création ?
Pour le Kirigami, ce papier épais découpé au cutter, me permet de retrouver la forme et par la suite les volumes qui m’intéressent, à travers la simplicité et la pureté de la ligne, la plus précise, la plus sensible, la plus épurée.
Je découpe cette ligne directement dans ma feuille, sans dessin préparatoire, à plat sur ma table. Il me faut maitriser la découpe à minima, ne pas prendre le risque de détacher complètement le sujet de la feuille. C’est une des premières difficultés. Il faut prévoir la profondeur, l’effet de l’ombre et de la lumière à venir, en gardant la beauté, la sensualité, l’érotisme et la force du corps nu. Je n’ai pas le droit à l’erreur, il n’y a pas de possibilité de repenti. Je travaille toujours avec un modèle vivant. J’ai besoin de la précision, du détail de l’attache d’un sein, de la forme d’une épaule ou de la douceur de la nuque. La courbe d’une hanche, la finesse d’une cheville, sont toujours un plaisir à transposer.
Je transcende et magnifie ce corps que je redécouvre à chaque fois, un peu plus de minute en minute, d’heure en heure, avec le modèle, l’amie avec qui je travaille. Un réel échange, en toute liberté et simplicité, complicité je dirai presque. L’équilibre et la composition, restent à s’inscrire dans la toute simple feuille de papier. La nudité devient alors une force qui laisse l’artiste devant ces difficultés.
Par la rencontre d’autres artistes, j’ai pu aussi découvrir l’argile et le volume, sa transformation, la cuisson, l’émaillage, puis les techniques japonaises, le RAKU en particulier, le plaisir et l’intensité de cette matière, le rapport à la nature, à l’air et au feu. Travailler la terre, en attendre patiemment le séchage et une première cuisson. Vient ensuite l’émaillage de la pièce dont il faut choisir la couleur et l’intensité, puis, la deuxième cuisson.
A un degré très précis, il faut alors sortir la pièce du four, à l’air libre, encore incandescente. Par ce choc thermique très important, l’émail commence à craqueler, d’une façon totalement aléatoire. La pièce est alors rapidement enfouie, recouverte de copeaux, ce qu’on appelle enfumage et qui fixe définitivement les traces, les écritures, formées par ces changements violents de température. Le miracle peut alors se produire, c’est la terre qui décide. Les pièces sont ensuite refroidies rapidement, plongées dans l’eau.
Si toutes ces opérations doivent être parfaitement maitrisées, c’est seulement au refroidissement total de la pièce qu’on découvrira son intérêt et sa richesse.
Compte tenu de l’espace nécessaire, du matériel et de l’obligation à travailler à l’air libre, je ne peux créer dans mon atelier à Paris, que sur une base de moulage, certaines parties du corps à réaliser par la suite en plâtre, porcelaine ou bronze.
J’ai aussi travaillé sur de grandes installations et décors de théâtre.
✦ Quelle est la journée type de JC Yaïch ?
Il n’y a pas vraiment de journée type, à minima trois ou quatre heures de travail réel de création par jour à l’atelier, dessin, découpage, mise en volume, encre de Chine, recherches. Sont à ajouter bien sûr le petit bricolage de montage, d’encadrement, de mise en situation. En permanence quelques croquis, idées, projets à dessiner. Et puis rencontrer et échanger, écrire et écouter, de la musique toujours et voir des expositions, découvrir. La charge aussi de l’administratif, les dossiers à remplir pour recherches et manifestations à venir.
✦ Quelle matière rêves-tu de travailler ?
Toutes celles que je ne connais pas. Il y a tellement de possibilités, de matières, de processus, qui me restent à découvrir, à essayer, à élargir. J’aimerais un jour travailler l’image animée, le cinéma, à la création d’un scénario puis ensuite derrière la caméra.
Tant que les mains et l’esprit sont là, le plaisir de la création reste à venir, dans l’inconnu et la découverte.





SES INFLUENCES
✦ Quelle œuvre d’art choisirais-tu pour t’accompagner toute la vie ?
Impossible à déterminer. Tout l’œuvre de Matisse, Braque, Picasso, Penone et puis aussi Ruhlmann, Prouvé et Eileen Gray pour le mobilier.
✦ Quelle est l’exposition , artiste ou oeuvre qui t’a le plus ému ?
A la Bourse du Commerce, la fondation Pinault, l’artiste KIMSOOJA qui avait recouvert de miroirs tout le sol de la rotonde, la grande salle du rez-de-chaussée, pour son installation « CONSTELLATION ». Plus récemment et toujours au même endroit, l’exposition ARTE POVERA, qui surprend et ne peut laisser indifférent.
✦ Une pièce de mobilier design qui te fait rêver ?
La chaise longue de LE CORBUSIER et Charlotte PERRIAND pour le design et le confort.
✦ Un endroit qui t’inspire et te ressource ?
Pendant une vingtaine d’année j’avais mon atelier dans le Marais. A deux pas, le musée Picasso à l’époque était l’endroit parfait pour me ressourcer, réfléchir. J’aime aussi à marcher seul, au bord de la mer ou à la campagne. Si j’ai beaucoup voyagé, Paris reste pour moi la plus belle ville du monde pour m’y promener, découvrir encore, et admirer toujours.
✦ Une couleur de prédilection ?
Matisse disait « Aucune de mes feuilles dessinées n’a perdu l’attendrissante blancheur du papier ». C’est le blanc qui reste totalement ouvert à la création, la lumière qu’il sublime et culmine.


LAST BUT NOT LEAST !
✦ Avec ton expérience du monde de l’art que dirais-tu à un artiste qui se lance aujourd’hui ?
La nécessité d’être soi dans la difficulté d’exister parmi les très nombreux créateurs qui nous entourent. Trouver son médium dans tout l’éventail des possibilités. Le bricolage noble, le génie de la main.
✦ Quel est le rôle de Wilo & Grove dans l’évolution de ton parcours en tant qu’artiste ?
J’ai découvert en Wilo & Grove une autre vision de la communication et du marché de l’art, générationnel probablement. La possibilité d’être représenté en permanence.
✦ Une anecdote que tu souhaiterais partager avec nos chers Wilovers ?
Le dépaysement total au fil des expositions à l’étranger, à travers les coutumes et les différentes cultures. Une violente tempête de neige à NY, une vraie peur angoissante à Tijuana au Mexique, les diners mondains très arrosés au cognac en Corée, mon centre d’art pendant trois ans à Dubai, où j’ai pu rencontrer des artistes de toutes les nationalités, et où, pour une fois, j’étais obligé de ne peindre que des femmes habillées …
✦ Des projets à venir ?
Quelques expositions à Paris et autres, prévues en 2025.
Grand Palais « Art Capital », Salon Comparaisons.
Salon de Charenton. Centre culturel de Charenton.
Exposition avec les « Artistes à la Bastille »
Espace des Blancs Manteaux à Paris. « Le 4 Paris centre »

