Caroline Oger Lauberton explore la matière tissée comme un territoire sensible, un espace de mémoire et de rigueur plastique. Son travail textile évoque des paysages intérieurs, subtils et méditatifs, où la matière devient langage. Sur ses châssis, elle assemble avec précision des étoffes anciennes – lin, chanvre – qu’elle plisse, découpe, enduit et sculpte à la main. Chaque pièce révèle une poésie du temps lent, entre rythme et respiration.

L’ESSENCE, SA GENESE
✦ Quel est ton parcours et quel a été le déclic qui t’a amenée à l’art et à la création ?
J’ai suivi une formation universitaire en esthétique et sciences de l’art (Paris 1), qui a nourri ma sensibilité artistique. La création a toujours été au cœur de mon parcours professionnel : j’ai commencé en tant que designer textile free-lance dans le secteur de la maison, avant d’évoluer vers la communication et l’audiovisuel, en occupant des postes à dimension créative.
Aujourd’hui, je reviens au textile avec une approche personnelle, tournée vers le volume. Mon travail explore la matière et la lumière, dans une recherche à la fois sensible et prospective.
✦ Comment en es-tu venue à travailler cette technique ?
Je crée à partir d’éléments simples que je chine ou que je trouve autour de moi : bois, métal et textiles anciens en lin et chanvre. J’aime leur aspect brut, l’irrégularité de leurs trames, leur patine naturelle.
La technique que j’utilise aujourd’hui est le fruit d’expérimentations autour du volume et du textile. Elle s’est construite au fil du temps, dans une recherche libre et intuitive. Je l’envisage comme un terrain de jeu infini, propice à de multiples déclinaisons.
✦ Quel est ton processus de création ? Quels sont tes outils ?
Je chine en France des textiles anciens en lin, métis ou chanvre, que je sélectionne avec soin pour leur teinte, leurs irrégularités, leurs traces du temps. Les étoffes sont parfois teintées au thé, au marc de café ou au brou de noix, selon une approche douce, respectueuse de la matière.
Je découpe ensuite de larges pans de tissu que j’enduis d’une colle mise au point à partir de produits naturels. Je malaxe la matière, superpose les couches, que je lisse à la spatule avant de modeler les reliefs à la main. Le geste intuitif laisse émerger des vagues, des volutes, dont la densité varie selon le rythme de l’inspiration. Chaque format naît de la forme que prend la matière.
Une fois sèche, la surface devient résistante, presque cuirassée. Je découpe alors des bandes à l’aide de ciseaux électriques. Certaines sont ensuite peintes à l’encre de Chine ou à l’acrylique noire. J’en prépare toujours à l’avance pour composer librement, comme une palette de matières et de nuances.
Avant la composition, je tends un tissu recyclé sur un châssis en bois, préalablement préparé. Puis je joue avec les bandes, en m’affranchissant souvent de mes croquis. Le travail s’apparente à une écriture visuelle, une partition silencieuse guidée par le rythme des reliefs. Le placement se fait progressivement, dans un va-et-vient entre intuition et construction.
Chaque pièce est ensuite collée avec rigueur, de bas en haut, dans une attention constante aux équilibres de volumes, de vides et de pleins.
Ce processus, lent et immersif, s’inscrit pleinement dans une approche du slow art : un art du temps long, de l’écoute de la matière où chaque geste compte.
✦ Quelles sont tes inspirations ?
Mes inspirations les plus profondes viennent des paysages océaniques où j’ai grandi et où je séjourne encore régulièrement. Les dunes sculptées par le vent, les sillons que la mer laisse dans le sable en se retirant, la lumière mouvante qui transforme à chaque instant ces étendues marines… Ces paysages me nourrissent, m’apaisent, m’émerveillent sans cesse.
Mais l’inspiration ne se limite pas à un lieu : elle est partout. Dans l’art, l’architecture, les voyages, les matières glanées, les gestes des autres artistes… Je reste attentive à ce qui me touche, aux détails du quotidien comme aux émotions plus vastes. Un éclat de lumière, une texture, une composition peuvent faire naître une envie de créer.
✦ Décris-nous ton atelier, quel est ton environnement de travail et dans quelles conditions aimes-tu créer ?
Mon atelier est à la fois un espace de stockage et un lieu de préparation, où je peux disposer mes planches de textiles rigidifiés sur de grandes surfaces. C’est un endroit fonctionnel, lumineux, où je prends le temps de trier, d’observer, de sélectionner les œuvres à poursuivre. J’y travaille dans le calme, souvent dans un silence complet, propice à la concentration et à l’écoute de la matière.
Mais je suis aussi très nomade dans ma manière de créer. Je me déplace régulièrement, surtout vers la mer. Là-bas, dans un jardin exposé aux embruns, je prépare mes reliefs en plein air. Ce sont des moments suspendus, entre vent et lumière. Le soleil accélère le séchage des textiles encollés. Ce va-et-vient entre l’atelier et l’extérieur nourrit mon travail et m’offre des rythmes de création différents, selon les lieux, les saisons, la lumière.
✦ Quelle est ta journée type ?
Je n’ai pas vraiment de journée type au sens strict. Mon rythme se cale davantage sur celui du jour, de la lumière, des saisons. La lumière naturelle guide beaucoup mes temps de travail, surtout parce qu’elle révèle les volumes, les textures, les jeux d’ombre qui sont essentiels dans mon travail de textile en relief.
Je commence souvent la journée en observant mes pièces à la lumière du matin, plus douce, plus rasante. Puis, selon l’énergie du moment, je me mets à créer, à manipuler la matière, à encoller, à expérimenter. Certains jours sont très productifs, d’autres plus contemplatifs – je laisse la place au temps, à l’intuition, sans forcer.
✦ T’arrive-t-il de « rater » des œuvres ?
Oui cela fait partie du processus de création et permet finalement d’avancer.





SES INFLUENCES
✦ Quelle œuvre d’art choisirais-tu pour t’accompagner toute la vie ?
Difficile de choisir une seule œuvre… mais peut-être une installation de James Turrell, pour sa manière de donner corps à la lumière et de créer des espaces de silence et d’immersion. Ou un tableau de Rothko, pour sa profondeur vibrante, presque méditative. Ce sont des œuvres qui évoluent avec le regard et la lumière du jour — je pourrais les contempler sans jamais m’en lasser.
✦ Quelle est l’exposition, artiste ou œuvre qui t’a le plus émue ?
L’exposition consacrée à Olga de Amaral à la Fondation Cartier m’a profondément émue. Le nombre d’œuvres présentées permettait une immersion rare dans son univers. J’ai été bouleversée par la manière dont elle fait dialoguer matière, lumière et spiritualité.
✦ Une pièce de mobilier design qui te fait rêver ?
J’aime le design des frères Bouroullec qui évoquent souvent le végétal ou l’organique. Et puis il y a l’univers généreux et éclectique de Paola Navone, que j’aime pour sa façon de mêler artisanat, design et voyage. Ce sont des objets qui racontent une histoire, entre simplicité et poésie.
✦ Un endroit qui t’inspire et te ressource ?
L’océan atlantique et plus particulièrement l’Ile de Ré où je me ressource régulièrement et conçoit une partie de mes œuvres.
✦ Une couleur de prédilection ?
J’aime toutes les couleurs, surtout quand elles viennent de la nature : les ocres d’une terre sèche, les jaunes pollen, les bleus profonds comme celui de Klein, ou les vibrations colorées du couple Delaunay. Mais dans ma pratique actuelle, la couleur s’efface souvent au profit de la matière et de la lumière.
Je travaille principalement des textiles bruts, dont je cherche à préserver la teinte d’origine. Le blanc, les nuances d’écru, les gris très doux deviennent alors des terrains sensibles, changeants, presque chromatiques à leur manière. Ce sont des couleurs silencieuses, mais vibrantes.


LAST BUT NOT LEAST !
✦ Des projets à venir ?
Une exposition dans l’Ouest à la rentrée, puis dans le Sud-Ouest à l’automne. Ensuite, de nombreuses pistes à explorer, notamment autour du travail du volume en trois dimensions.

